premiers pas

Clelia s'annonce :
Moi, Clelia, je suis née dans un pays lointain des amours brèves d’un centaure au charme ravageur et d’une nymphe qui y succomba…
La forêt où je grandis avec ma mère, répondant au doux nom de Desmena, fut bientôt trop petite pour moi et mes galops effrénés : en effet, j’avais hérité du physique de mon courant d’air de père, ainsi que (disait-on) de son caractère emporté.
Malgré tout, je restai auprès de Desmena, qui m’enseigna l’art de guérir et de parler aux arbres. Agile et aventureuse, j’explorais toujours plus loin les environs de ma forêt natale, gambadant parmi les fumerolles du champ de volcans et de geysers qui s’étendait à l’Est, sans me soucier des récriminations de ma mère qui ne comprenait pas que l’on puisse aimer un paysage aussi désolé, elle qui ne jurait que par l’herbe douce et grasse des clairières… C’est en grommelant qu’elle démêlait mes crins et ma longue chevelure d’un roux flamboyant.
Au moins, je lui donnais satisfaction quant à mes aptitudes de guérisseuse, et je revenais toujours indemne de mes pérégrinations, parfois accompagnée de créatures qui nous servaient de patients.

Mais comme tous les enfants, un jour je décidai de partir vers d’autres horizons. Ma mère me donna sa bénédiction et m’offrit quelques fétiches et amulettes qui assurément devraient m’aider à survivre et à ne pas oublier ma demi-nature de nymphe…
Après un long voyage et quelques aventures, où je m’aperçut que finalement les sabots de Papa étaient parfois moins utiles que les longs cils sur les yeux verts hérités de Maman, je suis arrivée sur les terres que vous nommez Silver World. J’ai choisi d’y rester quelque temps pour satisfaire ma curiosité quant aux créatures qui le peuplent.
C’est alors que je rencontrai Ombre, directeur de cirque. Ma foi, il sut me convaincre de me joindre à la troupe, après que je lui eus démontré mes talents de jongleuse, tout en caracolant autour de lui…

Après ce petit accès de mélancolie et de nostalgie bien compréhensible après la perte de mes amis, je décidai de repartir, de me relever et de faire revivre le Cirque Kundalini. Lors de mes déambulations dans les terres d’argent, je rencontrais moult personnages et moult monstres mais je n’avais pas vraiment le cœur à tenter de les dompter (les monstres, pas les personnages…. Quoique….) Je rencontrais des soigneurs et des affreuses crapules. Puis, petit à petit, je repris du poil de la bête. Je décidais de commencer activement le recrutement de la troupe ! Le fait de me prendre continuellement des torgnoles par des brutes mal intentionnées n’était sans doute pas étranger à l’affaire…

Krigon, ce jeune costaud, fut le premier à me proposer ses services. Il devint Hercule, briseur de chaînes avec ses dents et ses oreilles. Notre numéro de duettistes fut rapidement rodé : Après avoir harangué la foule de villageois juché sur un tonneau, quand j’estimai que mon public était suffisamment dense et à point, j’appelai alors mon comparse qui sortait de sous un drap, la tête masquée, vêtu en tout et pour tout d’une cape brillante et d’un slip qui aurait du l’être. Avec force grognements d’ours, il commençait par briser quelques troncs d’arbres en guise d’apéritif puis continuait à se faire les dents sur des chaînes d’ancre de navire. Les paysannes ricanaient et cancanaient à la vue de ses muscles en sueur, ce qui provoquait immanquablement l’énervement de la partie masculine du public. Je pouvais passer à la seconde phase du spectacle : le combat de lutte boxée entre de courageux et vaillants volontaires et mon pauvre Hercule apparemment affaibli par tous ses exercices…. Evidemment, j’avais toujours une demi douzaine de crétins en pleine ébullition hormonale prêt à se faire massacrer pour se faire remarquer par une villageoise grassouillette au regard coquin. Evidemment, je lançais les paris avant chaque combat. Evidemment, les volontaires se faisaient écrabouiller et, évidemment, j’empochais la mise. Non moins évidemment, le spectacle se terminait de façon brutale et l’épilogue était sans cesse le même : mon Hercule et moi courant à toutes jambes, poursuivis par une horde de paysans mauvais perdants….

Puis, nous croisâmes la route de Schtrow, jeune fille nouvellement tombée du nid familial, aux idées parfois obscures, il faut bien l’avouer. Cette ravissante gamine avait accompli des prouesses avec ses compagnons de voyage : deux magnifiques souris fort courtoises et d’une propreté irréprochable (sauf, bizarrement, avec Krigon qui finit par les prendre en horreur après plusieurs dégâts irréparables sur la partie inférieure de son costume de scène….) Schtrow apporta fraîcheur, rires et ravissement des gamins lors de nos spectacles. Les facéties de ces deux minuscules rongeurs dans leur costume de scène provoquaient rires et applaudissements. Les villageois furent moins prompts à tenter de nous clouer sur la porte de leurs granges. Bref, notre spectacle prenait forme.

Un beau matin, je laissai Schtrow et Krigon en pleine discussion quant à l’intérêt d’apprendre à Black Cocaïne (un des mulots) à briser avec ses moustaches des chaînes de pendentifs sur la tête de Krigon pour aller tranquillement réfléchir à l’avenir de notre minuscule troupe.
Je fus tiré de mes songeries par le bruit d’un galop derrière moi. Je me retournai, m’attendant à moitié à me faire (encore) dépouillé par un malotru à l’haleine de bouc quand je vis la plus jolie, la plus ravissante centauresse de toute mon existence.
Vous savez comme moi comment sont la plupart des centauresses : d’affreuses matrones aux cheveux de crin, à la tronche chevaline, aux incisives proeminentes et à la culotte de cheval…. Avec un caractère à faire trembler un pitbull en pleine rage …. Mais là…. Une crinière d’un roux flamboyant…. Une encolure fine et racée, des jarrets puissants, une croupe…. Enfin, bon, bref…. Et des yeux….. C’est en tombant dans la profondeur de son regard que je soupçonnais un métissage… Ces yeux d’un vert profond, mélange de lac forestier et de paysage sylvestre ne pouvaient provenir que d’une nymphe…. Et, pour ne rien gâcher, elle avait adopter la tenue vestimentaire des nymphes, c'est-à-dire peu d’étoffe, très transparent et très court…. Ce qui me permit de remarquer au passage qu’elle n’avait pas hériter que les yeux de sa maman de nymphe … Je venais de rencontrer Clelia, fille de nymphe et de centaure !
Je m’attendais à ce que cette sublime apparition ne me jette qu’un regard de dédain en réponse à mes yeux exorbités et ma bouche béante avant de poursuivre son chemin, mais non, elle avait apparemment envie d’engager la conversation.
A ce moment, je mis tout mon talent, tout mon génie de bonimenteur à la convaincre d’adhérer à la troupe. Quelle ne fut pas ma surprise quand, d'abord, elle accepta mais qu’en plus je m'aperçus qu'elle possédait un réel talent de jonglage ! Voir cette sublime créature virevolter autour de moi en jonglant avec noix, fruits, cailloux et morceaux de bois fut un ravissement ! Je l’imaginais tout de suite en tenue de scène lançant et rattrapant épées, poignards, flambeaux et balles multicolores ! Pour le coup, j’allais rétablir l’équilibre entre les sexes au niveau de mon public ! Au tour des vachers de baver sous le regard furibond de leurs compagnes…. En plus, avec une telle adresse, notre troupe s’enrichissait d’une guerrière hors pair…
Quatre…. Nous étions quatre. Inexpérimentés, naïfs, peu agguéris… mais quatre ensemble, prêt à s’entraider. Le Cirque Kundalini allait pouvoir commencer sa tournée.

Clelia poursuit :
Intégrer une troupe de cirque était vraiment le meilleur moyen d’explorer le monde et je ne regrettai pas ma décision. Nous étions peu nombreux, mais nous nous serrions les coudes.

Avant de mettre moi-même au point mon numéro, j’assistai une première fois au numéro de Krigon. La harangue d’Ombre, l’émulation du public, c’était drôle, jusqu’à ce que les villageois nous pourchassent… Enfin, moi j’eus vite fait de les distancer et d’attendre au campement mes compagnons essoufflés.
Krigon n’est pas bien bavard, et il mange trop de viande : ce n’est pas avec lui que je vais apprendre des choses sur les moeurs de la race humaine… Mais il n’a pas l’air d’un mauvais bougre et il sait se rendre utile quand il le faut.
Schtrow est adorable, et son spectacle est des plus amusants, il ravit autant les gamins que leurs parents, bien qu’ils prennent l’air détaché. Schtrow disparaît parfois toute une journée et revient avec un tour tout frais. Avez-vous déjà vu une souris exécuter un saut périlleux arrière ?
Quant à moi, mes premières prestations ont été concluantes, Ombre est content de moi je crois.
C’est drôle comme les hommes me regardent. J’ai compris depuis que je suis partie de ma forêt d’origine que je ne les laisse pas indifférents et que parfois une simple œillade fait des ravages, mais je n’ai pas encore compris pourquoi… Les humains sont parfois étranges.
Ombre m’a précautionneusement suggéré un numéro qu’il nomme "danse des sept voiles", j’ignore de quoi il s’agit, mais vu les manières contournées qu’il a prises pour m’en parler, je ne suis pas sûre que cela me plaise… Je lui ai dit que j’y réfléchirais. Il faut que je trouve en quoi ça consiste.
Pour l’instant, je peaufine mon numéro de jonglage avec des poignards. Il parait que c’est assez impressionnant et je n’en suis pas peu fière.

J’ai une roulotte. La première fois que j’y suis montée, j’ai tout brisé à l’intérieur et j’ai eu un mal fou à en ressortir, trop étroit et encombré pour mon corps de centaure, certes plus svelte que ceux des sang pur mais tout de même. Maintenant tout est déblayé et arrangé à mon goût, et j’y suis bien. Quand j’y suis car c’est vrai que j’ai besoin de me dépenser et de souvent me retrouver seule. Je galope où le vent me porte, parfois trop loin, parfois dans les pattes des créatures les plus inamicales.
Malheureusement, il semble que hors de ma forêt natale, mes dons de guérisseuse ne soient pas des plus efficaces… Maman m’avait prévenue, certains pouvoirs tiraient leur puissance des arbres qui nous entouraient… J’ai tenté de soigner Ombre après une attaque d’aigrefins sans scrupules, mais sans succès. J’en étais désolée mais il s’est fort bien débrouillé seul. L’habitude sans nul doute.
Ombre est étrange. Il regarde parfois la grande enseigne peinte du cirque avec une brume dans le regard, une nostalgie teintée d’amertume, et puis, l’instant d’après, il nous voit, nous, ses compagnons, moi, et mon air interrogateur, et ses yeux s’égaient et parlent avec lui de projets de grandeur.

Ombre m’a donné quelques pouvoirs de gestion au sein de la troupe, et au cours de mes cavalcades, j’observe les gens et je cherche de nouveaux talents qui pourraient intégrer notre cirque. J’espère bientôt en trouver quelques uns qui enrichiront notre répertoire.