naissance du cirque

Voila….
Encore une fois, je me retrouve sans rien. Retour au point de départ, quasiment aussi riche qu’il y a 10 ans, lorsque je faisais mes adieux a ma mère et a mes sœurs en pleurs, profitant lâchement d’une sortie en mer de mon irascible géniteur pour ne pas avoir à subir, fut-ce pour l’ultime foi, une raclée de coup de rames. Je les avais rassurées alors ! Je leur avais promis de revenir, couvert d’or et de diamants, ma renommée aussi vaste que ma richesse ! Oui, je reviendrais pour transformer notre pauvre masure de bambous sur la plage en un somptueux palais de marbre !
Comme j’étais naïf ! Comme j’aimerais, aujourd’hui, me contenter d’une masure sur la plage, d’une famille aimante et, oui, je crois que je supporterais même un père qui ne rentre de ses minables pêches au hareng que pour s’enivrer à l’alcool de baies.
J’étais parti, confiant en la minuscule éducation fournie, deux heures par semaines depuis mes 7 ans, par les moines du monastère de Ténébreuse. Confiant en mon lourd, mais solide sabre, celui emprunté a tonton Raymundo, mon oncle qui avait combattu les pirates lors de la guerre contre les outriliens.
Mon destin était tout tracé : je truciderai moult monstres, je me ferai de braves, sympathiques et valeureux compagnons de route et de beuveries, j’aurai des aventures hyper sexuelles avec des aventurières aux yeux de braises, aux poignards effilés et a la poitrine avantageuse avant de sauver des griffes d’un ignobles monstre une princesse chaste, rosée et potelée qui se pâmerait d’amour a la vue de mes muscles durs et saillants (entre autre)…
Las…. Evidemment, rien ne s’est déroulé suivant mes espérances…. Des le premier soir a College city, je perdais la moitié de ma fortune au jeu (2 pièces d’argent) L’autre moitié disparut dans le corsage d’une aimable danseuse. Ce qui me valut, en récompense de ma générosité, un sourire mutin. Lorsque je réclamais plus, trouvant le prix du sourire quelque peu excessif, son compagnon, un énorme barbare velu que je n’avais point remarqué auparavant, accepta de me dédommager à coup de grandes baffes sur ma juvénile figure…
Bref, comme le dernier des crétins, je me retrouvais, 24 heures après avoir quitté la baraque familiale, contusionné, mort de faim et sans un sou, traînant un énorme sabre en cuivre qui aurait été bien en peine de blesser une motte de beurre soufrant d’insolation…
Aujourd’hui, je n’ai même pas ce bon vieux sabre…. Et j’ai 10 ans de plus. L’amertume en plus, la fraîcheur en moins.
Que me restait-il à faire ? Retourner au village et me prendre la rouste de ma vie par mon ivrogne de paternel…
C’est à la sortie de la ville que je fis la rencontre qui détermina mes 10 dernières années. En effet, s’était installé, aux portes de la ville…. Un cirque.

Oui, près des fortifications de College city, s’élevait la tente défraîchie et raccommodée d’un cirque miteux. Je m’approchais alors de la tente et des roulottes, espérant apercevoir, avant de rentrer chez moi, quelques monstres à décrire au village (et, il faut bien l’avouer, une ou deux acrobates en paillettes et string….)
Ayant repéré quelques accrocs dans la tente, je m’avançais subrepticement pour tenter d’apercevoir ce qui s’y déroulait. A peine étais-je penché sur une déchirure qu’une voix énorme retenti à mes oreilles : « Gamin, le trou est trop petit pour que tu t’y faufiles ! » Je sursautai, me retournai en poussant un glapissement et me retrouvai nez à nez avec ce qui me sembla être, au premier abord, un troll atteint de pelade… J’avais en face de moi, aussi large que haut, luisant et chauve, la peau plissée couverte de plaques grisâtre, Prosper Kosper, maître et propriétaire du « célèbre et merveilleux cirque de Prosper Krosper ». Il était extrêmement laid mais il souriait. C’est ce qui me décida : j’eus alors envie de faire partie de ce cirque, aussi miteux fut-il. Ca ne pouvait pas être pire que de finir ma vie comme pêcheur de hareng. Et il y aurait peut-être ces fameuses acrobates…Je lui annonçais donc mon intention de participer à la grande famille du cirque Kosper , déclamant a toute allure un cv quelque peu.. disons, amélioré… Tout à inventant de multiples aventures, je réfléchissais à quel numéro j’allais bien pouvoir exécuter… J’en étais à la moitié de mon récit sur mes combats imaginaires quand le gros Prosper m’arrêta : « C’est bon, c’est bon, petiot. Tu es embauché »
Je n’en croyais pas mes oreilles ! J’étais devenu un artiste ! C’est ainsi que je devins saltimbanque.
Bon, les deux années suivantes, je les passais à nettoyer la litière des deux tigres des neiges centenaires et édentés. Les deux années d’après à monter et démonter le chapiteau tout en conduisant une roulotte. Mais tout en m’acquittant de mon mieux de ces tâches ingrates, j’apprenais. J’apprenais à soigner bêtes et gens avec Prosper, gros bonhomme au physique disgracieux, mais au cœur d’or. J’apprenais à jongler avec les frères Humrli, nains barbus fort adroits au lancer de hâche. Je me musclais à soulever les poids, chaînes et autres accessoires de Romuru Grizli, notre hercule. Smi Visqq, le magicien, m’enseigna quelques sorts de base. Fabisha et Shafiba, les sœurs jumelles funambules, m’apprirent l’équilibre par des méthodes diverses et variées loin d’être toutes désagréables…. Bref, des milliers de choses pas forcément utiles me furent inculquées : dénouer une contorsionniste, nourrir des puces savantes, peigner une femme à barbe, promener un homme tronc…
Au bout de 6 ans, je n’étais spécialisé en rien, j’étais incapable d’exécuter en virtuose un numéro, mais je pouvais aider tout le monde. Je savais lancer une hache et tirer à l’arc, soigner animaux et humains, je manipulais des enchantements de base, je me tenais sur un corde raide, je montais un chapiteau, cuisinais, nettoyais, conduisais un attelage, écoutais les confidences des uns et des autres, réglais les conflits, secondais Prosper.
C’est aussi au bout de 6 ans que le pauvre Prosper nous quitta. Son exceptionnel talent de dompteur ne suffit pas à le sauver d’une chimère atteinte d’une rage de dents…. Nous nous retrouvions sans chef, sans guide, sans père…. Qu’allait devenir le « célèbre et merveilleux cirque de Prosper Krosper » ????
Tous les artistes se concertèrent. Ils décidèrent de continuer ; ensemble, en vraie famille, en la mémoire de ce cher Prosper. Et ils me nommèrent le nouveau Monsieur Loyal, le nouveau directeur du cirque !!! Je n’en revenais pas ! Je n’étais toujours pas un artiste, mais je dirigeais un cirque !
En l’honneur de Monsieur Krosper, on décida de renommer le cirque le Cirque Kundalini, pour garder la même initiale.

Durant 4 ans, nous sillonnâmes les routes et chemins des terres argentées pour le plus grand plaisir des petits et des grands. Des artistes nous quittèrent, d’autres nous rejoignirent. On acquit de nouveaux fauves, on monta de nouveaux tours. Jusqu’à ce jour fatidique où me reprirent mes rêves de gloire et de renommée….

J’appris, au cours de nos pérégrinations, qu’un vieux roi tout chenu et son benêt de fils, prince vieux garçon, organisaient chaque année sur le rocher minuscule qui leur servait de royaume, un festival du cirque. Aussitôt, je rêvai premier prix, gloire, renommée, princesse et aristocratie ! Enfin, nous allions devenir des artistes de cour royale et non plus des saltimbanques itinérants ! Finis, pour nous, des numéros pour les paysans et les bûcherons ! Nous allions enfin avoir un public de connaisseurs au goût sûr !

Enflammé comme je l’étais par mes rêves fous, je n’eus aucun mal à convaincre la troupe. Pour gagner du temps et être certains d’être présents à l’ouverture de ce festival du cirque, nous décidâmes de prendre la mer pour rejoindre ce royaume rocheux.

Nous embarquâmes, humains et ménagerie, joyeux, de l’espérance dans le regard sur l’Alouette, frégate fine et racée. Chacun se batissait ses rêves de richesse, de reconnaissance, d’amour… Nous étions heureux et prêts. C’était il y a une semaine.
Et me voila, ici, sur cette plage grise…. Seul, sans troupe. Sans animaux. Sans amis. Sans famille. Ou sont mes chères jumelles funambules ? Où est Smi ? J’espère qu’ils sont en vie, quelque part .J’ai vu mourir Romur Grizli et les frères Humrli. Notre ménagerie a disparu, engloutie, incapable de se libérer des cages qui sombraient. Une tempête. Une minuscule tempête et cette Alouette de malheur a sombré… Je ne me suis pas noyé car je me suis accroché à une planche qui se révèle être, cruelle ironie du sort, l’enseigne peinte et écaillée du cirque Kundalini…

Et bien…. Il ne sert a rien de s’appitoyer. Chers amis, chers compagnons, où que vous soyez, vivants ou morts, sachez que vous resterez dans mon cœur. En votre mémoire, je vais continuer, faire renaitre le Cirque Kundalini, contrecarrer le Destin !
« Oyez !Oyez ! braves gens, Fraîches demoiselles, beaux damoiseaux et nobles seigneurs !!! Le cirque Kundalini est de nouveau parmi vous !
Venez découvrir nos jongleurs, nos acrobates aux tenues chatoyantes ! Tremblez avec notre dresseur de dragons ! Riez avec nos clowns ! Admirez notre hercule briseur de chaînes ! Extasiez vous devant notre contorsionniste ! Assouvissez votre curiosité en contemplant la femme a barbe, l'homme tronc, l'enfant loup et la sirène tropicale ! Contemplez notre avaleur de sabre ! Frissonnez devant notre lanceur de haches aveugle ! Grattez vous avec notre dompteur de puces ! Pénétrez dans un monde étrange et fantastique avec nos sorcières, nos magiciennes et nos prestidigitateurs !
Et si rien de tout ça ne vous satisfait... sachez que nous soignons, guérissons grands et petits bobos ! que nous aidons les plus faibles, protégeons les opprimés .... et lâcherons nos mammouths en rut sur tout ennemi qui oserait nous chercher des poux !

Et vous artistes, troubadours, ménestrels et saltimbanque ! Venez rejoindre le Fabuleux & Universel Cirque Kundalini !
Vous en avez assez de cette vie de brute a tabasser des monstres patibulaires ? Vous rêvez de gloires, de public en transes, de groupies en délire ? Venez mettre votre talent d'aventuriers, de guerrier, de mage, de voleur ou de sorcier au service de l'Art pour la plus grande joie des petits et des grands !
Moi, ombre, Monsieur Loyal du nouveau cirque Kundalini, je vous promets une vie riche d’aventures et d’amitiés ! »